GROUPEMENT FRANÇAIS DES PERSONNES HANDICAPÉES
Assemblée Française membre de l’Organisation Mondiale des Personnes Handicapées, OMPH/DPI
La contribution essentielle des personnes handicapées
aux processus de réadaptation
Par Jean-Luc SIMON
Je me propose de vous présenter 1'expérience que nous menons, au sein du GFPH, pour la création d'équipes régionales de soutien par les pairs.
Le principe de cette action est de permettre à des personnes handicapées chargées d'expériences, d'aller vers d'autres personnes handicapées pour proposer différents supports d'avenirs possibles. Plutôt que d'insister sur ce qui est perdu ou ce qui manque, nous nous concentrons sur la nouvelle vie et les nouvelles possibilités.
1. L'importance du contact entre "jeunes" et "anciens".
Notre action vise à la mise en place d'un véritable partenariat entre personnes handicapées, parents et professionnels. Elle se situe donc au cœur de la problématique étudiée aujourd'hui.
L'expérience est au cœur de ce qui nous anime. Après avoir été personnellement confronté aux rapports "étranges" qu'entretiennent parfois entre eux les acteurs concernés par le handicap, nous sommes plusieurs aujourd'hui à vouloir répondre aux besoins que nous avons ressentis lors de nos séjours en institution d'hébergement et/ou de soins. Pour ma part, initialement éducateur auprès d'adultes polyhandicapés et d'enfants "cas sociaux", puis infirmier du secteur psychiatrique, j'ai eu la surprise, à la suite de mon invalidité, de constater qu'aucune possibilité de reclassement professionnel ne pouvait m'être offerte dans mon secteur d'activité. Jesuis donc un professionnel du handicap qui, après une expérience personnelle du handicap, ne pouvait plus travailler en tant que professionnel ... ??
Les expériences pratiques que nous menons pour favoriser les contacts entre "anciens" et "nouveaux" chez les personnes handicapées, répondent ainsi aux recherches de rencontres avec les "anciens" que nous avons menés, en nous souvenant comment, à chaque fois que l'un d'eux croisait notre chemin, nous l'observions attentivement en sachant pertinemment qu'il nous faudrait jour intégrer une partie des ses gestes et de ses attitudes. Ces relations avec les anciens favorisaient 1'émulation, et ces nouveaux pairs nous ont souvent apporté davantage que les professionnels non handicapés en qui nous ne pouvions reconnaître, par exemple pour apprendre à diriger efficacement un fauteuil roulant.
La capacité à se projeter dans un avenir imaginable est une base de la réadaptation. Parmi les nombreuses personnes handicapées que j'ai rencontrées, plusieurs m'ont donné envie d'aller de l'avant et de m'investir. Certains paraplégiques qui pratiquent le ski, les sports mécaniques, ou encore travaillent, m'ont aidé à me défaire de l'image peu valorisante qui est attachée aux personnes handicapées. En matière de sexualité, par exemple, tout ce que j'ai appris au début m'a été donné par des personnes handicapées. Ce simple accompagnement dans la vie est souvent essentiel car il a pour fonction de "donner envie de".
II. Le partenariat avec les parents et les professionnels.
Nos interventions peuvent également êtres utiles aux parents. En leur présentant des Personnes handicapées adultes qui ont "réussi", nous essayons de faire en sorte qu'ils puissent imaginer un avenir possible et valorisant pour leurs enfants. L'émulation est un processus qui joue un rôle majeur pour nous tous. C'est souvent l'identification quinous pousse en avant. Or, pour un nombre important d'actes et d'attitudes de la vie quotidienne, une personne handicapée ne peut s'identifier qu'à un semblable. Il s'agit pour nous d'encadrer ce processus d'identification en formant des pairs, mais aussi des parents et des professionnels.
L'annonce du handicap est une problématique récurrente chez les médecins : comment annoncer au patient que nous ne pouvons rien de plus pour lui, que notre savoir s'arrête ici et qu'il ne pourra plus jamais marcher, voir, entendre ou raisonner comme ses semblables ? Au sein du réseau international de l'OMPH( ), nous bénéficions à cet égard de l'expérience nord américaine née il y a 25 ans en Californie. La situation de handicap est là-bas présentée au patient par un "peercousellor"( ), une personne handicapée, qui propose son tutorat pendant six mois, un an... le temps qu'il faut. Une des premières initiatives de ce tuteur est d'asseoir son "filleul" dans un fauteuil et de l'accompagner devant un grand miroir pour découvrir avec lui sa nouvelle image. La méthode est brutale mais fructueuse.
Pour nous, en France, il ne s'agit pas de recourir à la brutalité, mais de faire comprendre aux personnes handicapées que leur vie reste encore une série de choix possibles et positifs.
Les formations que nous dispensons aux professionnels sont aussi très favorablement reçues, car ces derniers sont souvent avides de savoir quel regard nous portons sur leurs interventions et quels problèmes nous rencontrons vis-à-vis de celles-ci. Cette forme de partenariat entre usagers et professionnels cherche à transmettre et à échanger les savoirs de chacun. Elle est souhaitable et répond aux attentes de tous. En devenant formateurs de ceux qui habituellement nous aident, nous soignent ou nous accompagnent, nous inversons pour un moment les rapports de pouvoir. Cette situation est pour nous, personnes handicapées, l'occasion d'une formidable restauration narcissique.
Nous menons aussi un travail de médiation auprès des structures qui fournissent des services aux Personnes handicapées, et pour toutes ces contributions qui encouragent et favorisent le libre choix du lieu et du mode de vie, chaque membre de notre équipe a déjà ou s'apprête à recevoir une formation que nous pensons indispensable et dont nous définissons actuellement les contenus.
Tous, parents, professionnels et personnes handicapées, avons quelque chose à retirer de cette dynamique de la pairémulation (émulation par les pairs). Les pairs parlent plus simplement de la réalité qu'ils connaissent, et peuvent donner un grand nombre de conseils pratiques et directement transférables pour mieux gérer les situations de la vie quotidienne.
Colloque du Collectif de recherche sur le handicap et l’Éducation Spécialisée - Université Lyon 2 - 17/09/1998
Quelle autonomie pour quelle "qualité de vie" ?
Par J-L SIMON Président du GFPH
À la question posée, " quelle autonomie pour quelle qualité de vie ? ", la réponse qui me vient tout naturellement à l'esprit est " une autonomie maximale pour une qualité de vie épanouissante et choisie ". Il s'agit principalement de savoir ce que les personnes handicapées, aussi différentes soient-elles, entendent par " qualité de vie ".
D'après les actions que mène le Groupement Français des Personnes Handicapées et les contacts que nous avons avec les personnes concernées, la qualité de vie apparaît être étroitement liée à la capacité de participation et de partage, c'est-à-dire à la possibilité d'avoir un échange actif, voir affectif, avec les autres. Le sentiment de qualité de vie est généralement lié à la possibilité de contribuer au développement de la collectivité, d'apporter à d'autres afin de ne plus être exclusivement dans la position de celui qui reçoit. Dans cette recherche d'une valeur de soi-même, d'une " fierté de soi même " comme l'affirment nos amis anglo-saxons, l'échange et la contribution sont les principaux éléments de la qualité de vie.
Ainsi, les personnes handicapées engagées dans l'action du GFPH, pour " la création d'équipes régionales de soutien par les pairs ", cherchent à déterminer comment elles pourraient stimuler et accompagner vers plus d'autonomie celles et ceux qui connaissent des situations de handicap.
Dans cet objectif, nous avons entamé un travail avec l'Union Européenne visant à la création de " pairémulateurs " : des personnes handicapées chargées d'expériences qui transmettent à d'autres les qualités qu'elles ont su développer. Nous plaçons cette aptitude à maîtriser la vie au premier rang de nos intérêts, car là où n'est habituellement perçue que de l'incapacité, permettre à ceux qui doivent s'approprier une identité et s'identifier à d'autres d'une façon positive et dynamique est un acte de valorisation essentiel.
" Nous sommes fiers d'être ce que nous sommes ", ou plus précisément, " nous ne nous sentons ni honteux ni coupables, et nous connaissons la valeur de ce que nous pouvons apporter ". Nos déficiences ne doivent pas être un barrage à l'expression de nos qualités, et cela, même pour les personnes les plus lourdement handicapées. Il s'agit de mettre à jour cette compétence, de faire reconnaître à l'individu concerné ses propres capacités.
Il est frappant de remarquer l'absence de reconnaissance dont nous sommes victimes. En effet, les professionnels de la réadaptation que nous rencontrons se croient parfois " tout puissants ", alors que, même s'ils sont compétents dans leur domaine, qu'il s'agisse de soin, d'orientation ou de conseil, leur compétence est toujours limitée par l'expérience qu'ils n'ont pas. En d'autres termes, leur compétence s'arrête souvent là où commence la nôtre, car la rencontre avec un semblable, handicapé, " comme moi ", permet la projection en un avenir qui devient enfin identifiable.
À l’opposé du diktat qui imprègne notre société " moderne ", où l'efficacité n'est plus synonyme que de vitesse, l'intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées nous dicte qu'il est préférable d'aller moins vite avec elles, que plus vite sans elles. Notre contribution aux actions de réadaptation, comme à tous les actes de la société, est en cela le vecteur d'une évolution positive que nous croyons inéluctable, parce que nous contribuons au développement positif de la société et que nous voulons être les acteurs de notre propre vie.
Il faut que nous, personnes handicapées chargées d'expérience, puissions être reconnues valides et compétentes pour mener ce travail. Beaucoup d'entre nous ont déjà commencé à accéder à cette reconnaissance par le biais d'études universitaires ou d'actions militantes. Sous l'angle de la complémentarité et non de la concurrence, nous souhaitons agir sur le terrain pour enrichir de nos expériences les interventions visant à la réadaptation et à l'intégration des personnes handicapées.
C'est un travail d'accompagnement vers l'avenir qui est, ne l'oublions pas, commun.